Ahmed
Madani par lui-même Propos
sur l'écriture dramatique Son
parcours |
Je n'ai pas choisi l'écriture dramatique, c'est elle qui
m'a choisi. Elle est née du plateau, c'est par lui que les mots ont surgi.
Tout a commencé en 1977, au cours d'un projet
de création collective avec une équipe régionale. Au fur et à mesure de
ce travail, la nécessité de dompter les mots évadés de la bouche des comédiens,
s'est imposée à nous. Il a fallu que quelqu'un se saisisse de la matière
brute des improvisations pour en faire un texte dramatique. Cette tâche
m'a alors été confiée et je m'en suis saisi avec naïveté, comme par jeu
et peut-être par défi. A cette époque, écrire ne représentait pour moi
qu'une petite partie de toute cette aventure théâtrale ; le risque résidait
autant dans le jeu, la mise en scène, la création de décors, la lumière
etc... Jouer me semblait même être le seul véritable acte théâtral. Mon
attirance pour l'écriture s'est progressivement confirmée et je suis devenu,
au sein de cette compagnie, "l'écrivain maison", le dramaturge permanent.
L'aventure collective a duré 7 ans. Puis, un jour, j'ai compris que mon
projet artistique nécessitait une grande indépendance d'esprit et une
totale liberté d'action. L'écriture, la mise en scène, la production,
la relation avec le public s'étaient fondues au point de devenir les diverses
facettes d'un même ambitieux projet: réaliser un théâtre d'art citoyen
et populaire. A partir de cet instant la création de Madani Compagnie
s'est avérée incontournable.
Aujourd'hui, je ne me considère pas comme un auteur, ni tout-à-fait comme
un metteur en scène: je suis un auteur en scène. Je ne parviens toujours
pas à faire vivre l'écriture dramatique pour elle-même. J'écris par et
pour la scène. Le texte n'est terminé que le premier jour de la représentation.
Je me situe dans cette tradition d'auteurs dramatiques qui écrivaient
pour des troupes, je suis devenu un auteur chef de troupe.
Mon premier public est donc l'acteur. Sans lui mon théâtre n'existe pas,
car mon écriture ne prend tout son sens qu'à l'épreuve du plateau. C'est
pour les comédiens que j'écris, pour qu'ils apprivoisent mes mots et en
fassent une bonne soupe de vie qu'ils serviront aux spectateurs. Or, il
faut beaucoup de "carburant" à l'acteur pour qu'il puisse mettre en marche
la machine à théâtre. Le texte doit donc être suffisamment fort pour faire
naître l'envie de le jouer, d'habiter les mots, de les mettre en jambe,
en chair, en sang. Le travail du metteur en scène, quant à lui, ne peut
s'exercer que si le texte recèle une pensée et une poétique suffisamment
denses pour lui permettre d'exprimer ses propres partis-pris artistiques.
Le spectateur est mon second public. J'écris mes textes dramatiques en
laissant juste assez de mystère pour éveiller sa curiosité et son appétit.
Ce procédé, en même temps qu'il ménage des effets de surprise, des coups
de théâtre et des fausses pistes, laisse une grande place à l'imaginaire
du spectateur et lui permet d'inscrire en filigrane un récit secondaire
nourri de sa propre sensibilité. C'est pourquoi mon écriture n'est pas
seulement verbale. Je trouve que les mots en trop parasitent et tuent
l'envie naissante d'entendre le texte. Quand j'écris je passe beaucoup
de temps à tamiser le texte. Les scories, les mots en trop, doivent disparaître,
il ne doit rester que le vrai propos. Ainsi, à une certaine étape de mon
travail, je n'écris plus avec une plume mais avec une gomme. Quelques-uns
de mes textes ne sont pas éditables pour cette raison. Il ont trop de
trous à remplir par le jeu du comédien et la mise en scène. A mon sens
la mise en scène et le jeu d'acteur doivent créer les possibilités matérielles
d'entendre les mots écrits et de deviner tous les autres.
Je me demande si je ne prends pas plus de plaisir à écrire des spectacles
qu'à écrire des pièces. Le sérieux de l'écriture et sa vanité m'embarrassent.
J'essaie de leur tordre le cou en usant de la légèreté des saltimbanques
car je suis convaincu que l'écriture théâtrale n'est pas seulement un
pur acte littéraire. La mise en scène et le jeu, parce qu'ils provoquent
un questionnement immédiat du texte, me rappellent sans cesse à l'ordre
et donnent à mon écriture le sens dramatique qui la fonde.
Si l'acteur et le spectateur stimulent mon travail d'écriture, mes textes
naissent de cet unique et irréductible mouvement qui prend sa source dans
un obscur recoin de ma propre histoire d'enfant devenu homme de théâtre.
Mais par dessus tout, ce qui donne à mon écriture sa chair, son sens et
sa nécessité, c'est la poignée d'êtres humains qui étayent ma vie : mes
parents, la femme de ma vie, mes enfants, mon meilleur ami, les gens de
ma troupe. Ecrire est mon autre façon d'aimer : mes textes ne sont rien
d'autre que des lettres d'amour.
Ahmed Madani Juin 1998
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