Alors que la politique de décentralisation du théâtre
battait son plein jusque dans les années 80 en posant l’institution
théâtrale (scènes nationales et centres dramatiques)
au centre du dispositif d’irrigation culturelle du territoire, émergeaient
les zones dites péri—urbaines caractérisée par une
population jeune et multiculturelle. Il devenait alors difficile pour ces
entreprises de la décentralisation, de proposer à ces populations
des projets artistiques adaptés à leurs besoins. C’est à
cette époque qu’un certain nombre de compagnies se sont implantées
dans ces milieux dits défavorisés en tentant d’y développer
des projets artistiques proches des " spécificités "
de cette nouvelle urbanité. Sollicitées par les villes pour
tenter de gérer les problèmes sociaux émergents par
le biais de la culture, elles ont mis en place des actions artistiques au
sein de ces zones réputées "difficiles".
Mais comment être attentif à ces réalités sociales
et culturelles tout en développant des recherches artistiques qui
ne soient pas simplement des animations socio—culturelles ? C’est autour
de cette problématique que gravitent les enjeux de Madani Compagnie.
D’abord, il y a la ville, reflet du monde d’aujourd’hui avec son métissage
culturel, ses réalités sociales et économiques :
Mantes-la-Jolie avec ses 70 ethnies, ses 45 000 habitants dont 36% de moins
de 20 ans. Mantes-la-Jolie, ville frontière entre la Normandie agricole
et le bassin parisien industriel, située à 50 km de Paris,
et découpée en trois quartiers représentatifs de l’évolution
urbanistique de notre pays :
- un centre ville bourgeois : le vieux Mantes
- un quartier de tradition ouvrière : Gassicourt
- une Z.U.P. : le Val Fourré
Puis, il y a une compagnie théâtrale de rayonnement national,
Madani Compagnie, qui mène un travail artistique atypique fondé
sur la dialectique entre un théâtre universel et une action
culturelle de proximité.
Madani Compagnie puise ses forces et sa raison d’être dans le ventre
fécond de Mantes-la-Jolie. Traversant l’histoire de cette ville,
elle a suivi ses évolutions, partagé ses doutes et ses errances
et participé à son énergie et à sa vitalité.
Ses aventures théâtrales sont autant d’empreintes qui marquent
les étapes du développement urbain et humain de cette banlieue :
crises, restructurations, révolutions, renaissances.
Ainsi, dans un contexte de réhabilitation des quartiers, Madani Compagnie
a monté, à la fin des années 80,
La
tour, spectacle créé au Val Fourré dans
un immeuble muré voué à la démolition.
Nous
crèverons l’horizon est le fruit d’un travail réalisé
en 1991 avec des jeunes issus des différents quartiers de Mantes-la
Jolie, à l’époque de la montée de la violence dans
les banlieues. De
Rixe et Les rouquins
à
Méfiez-vous de la pierre à
barbe, il n’y a pas un spectacle, pas une trace artistique qui ne
soient représentatifs des réalités de la ville et de
l’évolution de la société.
Parler du monde, de ces distorsions, des hommes, de leurs travers, de leurs
peurs, évoquer les injustices, la violence, les angoisses d’une société
humaine qui ne sait plus où elle en est, tels sont les enjeux fondamentaux
de la compagnie. Le théâtre se doit, particulièrement
dans les périodes les plus difficiles, de participer à la
vaste réflexion sur l’état du monde. Il doit le faire avec
force et passion, sans oublier d’être un grand divertissement populaire.
Il faut rire, surprendre, émouvoir, étonner et sans cesse
faire la chasse à l’ennui, le terrible ennui qui rend morose la vie
de millions de gens.
Placer la population au cœur même de la création artistique,
interroger le théâtre dans ses fondements, investir des friches
et autres lieux insolites … A la croisée du théâtre,
de l’acte social et du geste politique, la compagnie œuvre avec les habitants,
croît avec eux, se nourrit de leur histoire et la leur restitue sous
la forme poétique et polémique d’un théâtre d’art
civique et populaire.