Ahmed
Madani par lui-même
Propos sur l'écriture dramatique
Son parcours |
Je suis venu au monde le 8 mars 1952.
C'était un soir en Algérie.
Ma mère, fille de paysan, mon père fils d'homme de peine.
A cinq ans, j'ai trouvé un pistolet.
Ma mère et mon père ont fermé la porte de la maison.
Ils ont creusé un trou dans l'un des murs de l'unique pièce où nous vivions.
L'arme y fut cachée, puis mon père a cimenté le trou.
C'était la guerre, c'était la peur.
Aujourd'hui, l'arme est encore à sa place, et personne ne le sait plus,
hormis ma mère et moi.
Dans la même nuit, ma mère m'a confectionné un pistolet de substitution.
Des soldats m'ont vu avec et m'ont dit : " Alors tu joues à la guerre ?
"
J'ai dit " oui ".
A six ans, j'ai attendu toute une nuit que mon père sorte de la gendarmerie,
devant la porte. Au petit matin, sa chemise blanche était rouge, mais alors
très rouge !
A 7 ans, c'était toujours la guerre, alors nous avons quitté l'Algérie.
C'était encore la peur.
A 9 ans, j'ai pris une claque parce que ma maîtresse a demandé un mot en
" gue " et j'ai dit " ta gueule ". J'ai appris ce que voulait dire châtier
son langage.
A 11 ans, mes maîtres ont commencé à lire mes rédactions devant toute la
classe. J'ai compris que la poésie pouvait être une arme.
A 12 ans, j'ai commencé à marcher les poings serrés.
J'ai affronté les regards. J'ai appris que la justice n'est jamais la même
pour tous.
Mon père luttait, ma mère luttait, alors je luttais aussi.
J'ai appris à me tenir droit. J'ai serré les dents, mais j'ai ouvert la
bouche.
A 16 ans, j'ai adopté la devise de Mao Ze-Dong : " Oser vivre, oser lutter,
oser vaincre ".
J'ai rêvé du corps des jeunes filles et j'ai eu honte de les aborder.
Je suis tombé amoureux de ma prof de français et j'ai écrit des rédactions
de 40 pages pour la voir me sourire. L'amour donne des ailes et la honte
nous les coupe.
J'ai écrit ma première pièce personnelle à 33 ans par amour pour la femme
de ma vie. C'est une pièce de guerre déguisée en lettre d'amour. Je n'écris
que des pièces de guerre car la guerre fait rage dans le plus grand des
silences.
La politique, c'est la loi du silence.
Le silence tue plus fort que les armes.
La politique, c'est encore la guerre mais sous une autre forme.
Si mes pièces de guerre sont des pièces d'amour, alors mes pièces d'amour
sont des pièces politiques.
Je ne suis pas un artiste engagé mais enragé.
Je suis humain de la race des humains.
Mon pays est une page blanche.
Je n'ai pas de frontière, je suis de partout et de nulle part. J'avance
vers l'endroit d'où je ne suis jamais parti, toujours à la quête de ma propre
histoire, à la rencontre de celle de l'autre.
J'espère un monde meilleur pour mes enfants.
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